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Un départ de Gaza à Paris

Entre nostalgie et souffrance

lundi 8 février 2016

Ahmed Alustath, brillant élève du département de Français de l’Université Al Aqsa à Gaza, a 22 ans. Après avoir obtenu son diplôme au bout de 4 ans d’études intensives, il a subi des mois d’attente, plongé dans l’absence totale de perspectives, avant que son autorisation de sortie ne soit enfin délivrée. Dans ce récit émouvant, plein de sensibilité et de pudeur, il nous raconte ses dernières heures sur la terre palestinienne, sa terre, avant d’arriver en France, lieu de ses rêves et de ses ambitions.

Après trois mois d’attente fatale, en fin de matinée, j’ai reçu un coup de fil :

Allô oui, Bonjour ?

Allô, Bonjour Ahmed, c’est le consulat général de France à Jérusalem.
Félicitations ! Nous tenons à t’informer que nous avons pu ENFIN avoir une autorisation israélienne pour que tu puisses passer par le passage d’Erez. Donc, tu dois immédiatement réserver ton billet d’avion d’Aman à Paris, tu devras partir demain matin au passage d’Erez, et nous t’attendront à la sortie du passage pour t’accompagner jusqu’à Jéricho où il y a le passage de El-Karama.

Pardon ? Billet d’avion ?! Et demain matin ?!

Oui, il faut le réserver immédiatement, et prépare-toi pour demain matin. Allez à demain.

D’accord, j’y vais tout de suite, merci beaucoup, et à demain.

Entouré par la famille, qui coupait son souffle jusqu’à ce que j’ai raccroché le téléphone. Ensuite, tant de questions m’ont été posées que je n’ai pas su par où commencer.

Qu’est-ce qu’on t’a dit ? Tu passeras par où ? As-tu eu ton autorisation ? À quand le départ ? etc.

Oui, je l’ai eue finalement, mais je ne pourrai pas voir toute la famille et mes proches amis avant de partir, parce que je vais partir demain matin.

Quoi ! Demain matin !!!

Je me suis mis tout de suite à me préparer : d’abord, quelques achats vite faits, et puis, la réservation du billet d’avion dont j’ai souffert, car comme il était environ 15h, j’ai dû parcourir toute la ville afin de trouver une agence de voyage encore ouverte. Mais quelle chance ! J’en ai enfin trouvé une qui était en train de fermer ses portes.

Rentrant chez-moi le soir tout en pensant à mille choses à la fois ; au voyage, à l’arrivée, à la famille, aux amis, à l’avenir, et même à un refus éventuel à la dernière minute au passage, à cause duquel le fil de mes pensées s’arrêtait dans une impasse. Et puis, j’ai eu la chance de voir quelques membres de ma petite famille ayant pu venir pour me voir. C’était gentil de leur part, toutefois, je n’aime pas du tout les adieux. Et après minuit, j’ai fait mes valises n’importe comment. Endormi à 3h du matin tout en faisant semblant, à 5h du matin, j’ai éteint le réveil avant qu’il sonne.

Le moment du départ était venu, je voulais partir tout de suite, monter en voiture et rouler vite ; je ne voulais pas regarder ma mère encore une fois après l’avoir saluée, car je ne peux pas supporter de voir ses larmes jaillir sur ses joues.

Je suis monté en voiture, me dirigeant vers le passage, et je me suis dit avec ironie (FINALEMENT, JE VAIS POUVOIR SORTIR DE GAZA) Hein, GAZA ; la grandeur du nom suffit pour que l’on réalise la souffrance que subit la population de ce coin abandonné du monde. Où il est beaucoup plus facile de voyager vers le ciel que de se rendre à l’étranger.

En route, je n’ai pas cessé de penser aux autres étudiants de Gaza qui devaient partir pour poursuivre leurs études à l’étranger. Très peu d’étudiants avait le droit de passer par le passage d’Erez, se situant au nord de la bande de Gaza, car celui, était intrinsèquement réservé aux diplomates, aux internationaux, aux journalistes et parfois aux patients.

Par ailleurs, il y a un autre passage. Le passage de Rafah qui se situe au sud de la bande de Gaza, sur les frontières avec l’Egypte, considéré comme la seule sortie principale afin que la population de Gaza puisse se rendre à l’étranger. Il est cependant trop souvent fermé, il n’a été ouvert que 26 jours durant toute l’année de 2015.

Les personnes inscrites pour voyager par le passage de Rafah comptaient presque une vingtaine de milliers de personnes, et elles étaient divisées en trois catégories (les étudiants, les personnes ayant des cartes de séjour à l’étranger, et les patients). La catégorie des étudiants dont je faisais partie était la plus nombreuse, et je me rappelle même que mon numéro de voyageur était 11050. En revanche, très peu d’étudiants ont réussi à franchir ce passage interdit.
Donc, c’est un passage qui n’est pas vraiment un passage, voire un barrage, où les rêves des étudiants de Gaza s’écrasent, leurs espoirs se fanent et leur avenir part en fumée.

J’ai pensé pour un instant, si j’étais resté à Gaza comme tous les autres étudiants qui n’ont pas pu partir, qu’est-ce que j’aurais fait afin de ne pas abandonner mes ambitions et mes rêves ?! Qu’est-ce que j’aurais fait pour tenir les promesses que je me suis faites ?! Qu’est-ce que j’aurais fait pour continuer à croire qu’un jour meilleur viendra ? Ne serait-ce qu’on se le dit depuis plus 60 ans.

Savez-vous, que nous les palestiniens, il nous est interdit de planifier pour le lendemain, car quand nous planifions, cela peut se retourner de telle ou telle manière contre nous ? Nous ne pouvons alors que vivre au jour le jour, parce que nous avons toujours eu une vie pleine de surprises, mystérieuse et incertaine... Le mode conditionnel ne devait peut-être pas être un mode français, mais plutôt palestinien.

J’ai réalisé à quel point j’étais chanceux de pouvoir partir, car si le consulat de France ne m’avait pas fait mes autorisations de sortie, je serais resté jusqu’à présent à Gaza, voire, je n’aurais jamais pu sortir. Il est vrai que je suis arrivé avec deux mois de retard, mais quand même, comme on dit : il vaut mieux tard que jamais.

Et ce n’était pas pour autant facile pour le consulat de me faire sortir, parce que le fait de faire une autorisation de sortie pour un jeune âgé de 22 ans est assez compliqué et demande au moins un mois et demi, et à condition que l’on ne soit pas déjà refusé. Et pour avoir une autorisation israélienne, il faut absolument tout d’abord avoir une autorisation jordanienne qui est vraiment difficile à obtenir aussi.

Avant d’arriver au passage, j’ai compté le nombre d’autorisations qu’il me faudra, le nombre de passages par lesquels je vais passer, et le nombre de fois que je vais être fouillé. Et la question la plus inquiétante que je n’ai pas cessé de ressasser dans ma tête : me laisseront-il passer ? Ou serai-je refusé ?

Enfin arrivé au passage d’Erez, j’ai commencé à franchir le premier point de passage qui appartenait au gouvernement palestinien. Mais à quel gouvernement ?! Celui de Gaza ou celui de la Cisjordanie ?!

Le ridicule de la division palestinienne a même fait que l’on passe par deux points de passage palestiniens avant d’arriver au côté israélien, dont l’un appartient au gouvernement de Gaza et l’autre appartient au gouvernement de la Cisjordanie.

Après une interrogation de routine dans les deux points de passage palestiniens, je me suis dirigé du côté israélien, où le point de passage ressemblait à un château fort à cause des portails blindés, des murs très hauts, des barbelés, et des caméras sophistiquées installées dans tous les sens.

Juste à l’entrée, il y avait un seul monsieur qui fouillait les valises des passagers, il n’avait pas l’air d’être soldat, et en plus, il parlait couramment arabe. J’ai alors constaté qu’il est peut être un des palestiniens dont les parents sont restés dans leurs villages et leurs villes lors de la Nakba en 1948. Il ne m’a pas fouillé, mais il m’a juste demandé si j’avais du thym et du Doga ! J’ai été énormément surpris par la question et j’ai répondu avec ironie ¨Non je n’en ai pas. Est-ce dangereux ?!¨

Et puis, j’ai poursuivi mon chemin, mais il n’y avait aucun soldat ou officier, par contre, ils nous voyaient par des caméras et nous orientaient par des interphones vers un grand appareil qui ressemblait à une grande machine-à-laver, dans lequel nous devions nous tenir débout pour quelques instants afin d’être scannés. Pour qu’ils vérifient que les passagers n’ont rien d’explosif ou d’armes. J’ai craint qu’on ait su aussi ce que j’ai mangé au petit déjeuner ce-jour-là.

Après cet appareil, je n’ai vu que des soldats vêtus d’uniformes verts avec des mitraillettes, et quelques officiers qui vérifiaient les autorisations des passagers, derrière des guichets vitrés et bien sécurisés. C’était la première fois pour moi de me retrouver si proche des soldats israéliens et j’ai eu le sentiment étrange que j’allais être agressé ou arrêté. Cela pourrait être dû à toutes les scènes que je voyais en permanence à la télévision ou sur les réseaux sociaux, où les soldats israéliens étaient agresseurs et les palestiniens étaient agressés et arrêtés. Néanmoins, je me suis vite débarrassé de ce sentiment pour la simple raison que je n’ai rien fait et que j’ai une autorisation de sortie.

Enfin, je suis passé, découvrant pour la première fois ce qui est au-delà de ces hauts murs nordiques, où j’avais toujours hâte de mettre les pieds. Pour un instant ou deux, je me suis senti comme si j’étais chez-moi, j’ai respiré à pleins poumons l’odeur du passé que ma grand-mère nous racontait, et j’ai réalisé à quel point elle avait raison lorsqu’elle disait toujours que sa ville natale faisait partie du paradis. Paix à son âme, nous n’avions pas peut-être bien compris ce qu’elle sentait !

Après quelques minutes d’attente à la sortie du passage, une voiture diplomatique du consulat français est venue me chercher pour m’accompagner du passage d’Erez jusqu’au passage d’El-Karama à Jéricho. Étant moins âgé de 45 ans, je n’avais pas le droit de me déplacer tout seul ne serait-ce qu’avec une autorisation.

Dès que je suis monté en voiture, je n’ai pas cessé de tout méditer par la fenêtre, comme un petit gamin qui regarde et découvre les choses avec un œil curieux. J’ai eu vraiment l’impression que tout me parlait. Et en route vers Jérusalem, j’ai vu un panneau sur lequel il était écrit - Ashkelon - et une nostalgie qui n’est à nulle autre pareille s’est éveillée en moi, car c’est le nom de la ville natale de mes ancêtres qui y vivaient avant 1948. J’aurais bien aimé pouvoir la visiter même si pour une toute courte visite.

D’ailleurs, j’avais une grande envie, hâtive, de joindre la ville de Jérusalem, notre capitale, que j’ai mis 22 ans à voir pour la première fois de toute ma vie. Pendant toute la route, je n’ai pas arrêté de poser la question si on y est arrivés ou pas encore. Mais elle s’est fait évidemment connaître toute seule, grâce à ses petites montagnes glorieuses, à ses vieux rochers témoins, à son architecture et ses maisons antiques, à ses dômes sacrés des mosquées et des églises qui se manifestent de loin, et à la sérénité de son ciel. Maintenant que je suis arrivé à la ville de Jérusalem, j’avais regardé tout ce qui m’entourait avec un œil aïgu, de crainte que cette visite soit la première et la dernière dans toute ma vie. Je ne voulais pas sentir, plus tard, que ces moments précieux n’étaient qu’un rêve virtuel.

J’ai été tellement enchanté par ses paysages magiques, que j’ai eu le cœur qui battait fort de joie. Et comme j’avais dit pendant que nous roulions que je n’ai jamais vu la vieille ville de Jérusalem ni la mosquée Al-Aqsa, on m’a fait donc descendre de la voiture pour quelques minutes, dans un endroit haut d’où nous pouvons voir toute la vieille ville de Jérusalem. Elle n’était pas sur notre chemin vers Jéricho. C’était la même vue magnifique que celle que je voyais toujours à la télévision, où la mosquée Al’Aqsa et celle du dôme de rocher, et l’église de résurrection se côtoyaient.

Je n’avais envie que de rester méditer cette vue sacrément magique, et j’aurais bien aimé aussi pouvoir visiter la mosquée Al’Aqsa de l’intérieur, mais je ne le pouvais pas puisque je n’avais qu’une autorisation de quelques heures. Je n’avais pas sincèrement envie de quitter Jérusalem, et j’aurais même souhaité y habiter. Car je ne trouve pas du tout juste que je connaisse mieux Paris que Jérusalem. Nous avons ensuite repris notre chemin tout en y laissant mon cœur. Néanmoins, j’ai gardé l’espoir d’y retourner un jour ou l’autre.

J’étais enfin arrivé au passage d’El-Karama, où la scène des points de passage et des contrôles s’est reproduite encore une fois. J’ai d’abord franchi un point de passage maintenu par les autorités palestiniennes, et puis un autre point de passage israélien où on m’a demandé d’attendre à part, avec quelques autres passagers, le temps qu’ils vérifient ma permission. Et finalement, je suis passé par un point de passage jordanien, me dirigeant ensuite vers la capitale jordanienne – Aman – d’où je suis monté à bord d’un avion, vers la capitale turque - Istanbul - où j’ai fait escale pour deux heures, rejoignant plus tard ma dernière destination, la ville des lumières, la capitale française, Paris.

Je n’étais pas vraiment réactif lors de mon arrivée, comme si j’habitais en France depuis toujours, parce que la fatigue du voyage m’a gâché le plaisir de l’arrivée.

Ahmed Alustath

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